Dans l’Esprit des Lois, Montesquieu analysait les effets du commerce dans ces termes : « L’effet naturel du commerce est de porter la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt à vendre : et toutes les unions sont fondées sur les besoins mutuels ».
Dans un contexte où les règles du commerce international sont en pleine évolution, il nous a semblé intéressant de revenir sur un rappel du fonctionnement récent des échanges mondiaux.
La création de l'OMC et ses évolutions
L'Organisation mondiale du commerce (OMC) est une institution internationale dont l'histoire est intrinsèquement liée à celle de son prédécesseur, l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT).
Le GATT, créé en 1947, visait à libéraliser le commerce international après la Seconde Guerre mondiale en réduisant les barrières douanières par le biais de cycles de négociations. Le GATT présentait certaines carences, dont notamment celle de n’être qu'un accord provisoire et non une organisation formelle, et de manquer d'un cadre institutionnel solide ainsi que d'un mécanisme de règlement des différends contraignant ; il a cependant permis, pendant plus de quarante ans, de réduire considérablement les droits de douane et d'élargir le commerce mondial.
C'est lors du dernier cycle de négociations du GATT, le cycle d'Uruguay (1986-1994), que la décision de créer une organisation permanente est prise par les accords de Marrakech, signés le 15 avril 1994, qui officialisent la création de l'OMC, laquelle entre en vigueur le 1er janvier 1995.
L'OMC est une organisation à part entière qui couvre non seulement le commerce des marchandises, mais aussi les services (AGCS) et la propriété intellectuelle (ADPIC). Sa principale innovation est la mise en place d'un Organe de règlement des différends (ORD), qui peut prendre des décisions contraignantes pour ses pays membres, renforçant ainsi l'application des règles commerciales.
Depuis sa création, l'OMC a continué de négocier la libéralisation du commerce, notamment à travers le cycle de Doha lancé en 2001. Cependant, les négociations de Doha se sont enlisées, témoignant des difficultés de l'organisation à parvenir à un consensus entre ses 166 membres aux intérêts souvent divergents.
Le « Choc chinois »
Après avoir quitté le GATT en 1950, la Chine est officiellement devenue membre de l’OMC le 11 décembre 2001, après 15 ans de négociations. Cet événement majeur a profondément transformé le commerce mondial. Son intégration a en effet conduit à une intensification sans précédent des échanges commerciaux, l'entrée de la Chine dans l'OMC agissant comme un véritable catalyseur de la mondialisation, notamment par la réduction drastique de ses droits de douane passant de 15,4% à 7,4% en 2021, soit un niveau inférieur à celui de son engagement d’adhésion qui était de 9,8%.
L’adhésion de la Chine à l’OMC lui a permis de s'intégrer pleinement dans les chaînes de valeur mondiales. Devenue « l’Usine du Monde », elle importe des biens manufacturés surtout d’Asie, qu’elle transforme et exporte vers l’Europe et les Etats-Unis. Selon les Echos1, la Chine exportait en 2001 « seulement » 325 milliards de dollars ; 20 ans plus tard, ce montant atteignait 2 500 milliards de dollars. Dans le même temps, ses importations avaient bondi de 740%. La valeur totale de ses échanges commerciaux a connu sur cette période une ascension vertigineuse de 810%, bien plus rapidement que l’ensemble du commerce mondial (+180%). La part de la Chine dans les exportations mondiales est ainsi passée de moins de 1% en 1979 à plus de 13% en 2016, faisant d'elle le premier exportateur mondial dès 2009. De même, le PIB chinois a été multiplié par huit entre 2001 et 2020 et sa part dans l'économie mondiale est passée de 4% en 2001 à 17,4% en 2020, la propulsant au rang de deuxième économie mondiale. Enfin, son adhésion a rassuré les investisseurs étrangers.
Les atteintes portées au fonctionnement de l’OMC par les Etats-Unis et la Chine
La fin des années 2020 marque une rupture avec l’ère de libéralisation des échanges promue par l’OMC. Bien que s’agissant d’un phénomène complexe et multifactoriel, ce retour au protectionnisme, amorcé par B. Obama puis J. Biden, a été considérablement accéléré et mis en lumière par les mandatures de Donald Trump. Ce dernier a en effet fait du protectionnisme la pierre angulaire de sa politique commerciale, notamment par son programme "America First" (l'Amérique d'abord) transformant les tensions commerciales en un conflit commercial ouvert qui a profondément remodelé le paysage international. L’usage stratégique du commerce est ainsi devenu un levier de puissance.
La principale action qui a directement miné le fonctionnement de l'OMC est le blocage du renouvellement des juges de son Organe d'appel, qui est l'instance supérieure du mécanisme de règlement des différends. En refusant de nommer de nouveaux juges pour remplacer ceux dont le mandat venait à expiration, l'administration américaine a rendu cet organe inopérant. Depuis fin 2019, l'Organe d'appel est ainsi à l'arrêt, privant l'OMC de son "tribunal" de dernier ressort.
Les Etats-Unis ont également remis en cause deux principes fondamentaux de l’OMC. Le premier est l’imposition de droits de douane au nom de la "sécurité nationale", notamment sur l'acier et l'aluminium, contournant ainsi les règles de l'OMC qui interdisent généralement aux pays d'imposer unilatéralement des barrières douanières sans l'approbation de l'organisation. L'administration Trump a souhaité écarter l’application de ces règles au motif qu’elles ne servaient pas les intérêts américains. Le second principe fondamental remis en question par l’administration Trump est la "clause de la nation la plus favorisée", qui veut qu'un avantage commercial accordé à un pays soit étendu à l’ensemble des autres membres. L’administration Trump pour sa part s’est concentrée sur la conclusion d’accords commerciaux bilatéraux, souvent basés sur un principe de « réciprocité » stricte.
La Chine a également joué sa part dans la remise en cause du fonctionnement de l’OMC, en octroyant des subventions aux entreprises nationales et d’Etat, qui sont une source majeure de friction au sein de l’OMC. Malgré la difficulté à obtenir des données fiables, plusieurs exemples concrets illustrent les pratiques de Pékin contestées par ses partenaires commerciaux.
On peut ainsi citer les subventions dans le secteur agricole (riz et blé), l’un des rares cas où l’OMC a clairement statué (en 2019) contre la Chine concernant ses soutiens internes au prix des céréales. De même en 2023, la Commission européenne a ouvert une enquête antisubventions visant les véhicules électriques chinois, relevant que la Chine soutiendrait massivement sa filière interne par le biais de transferts de fonds publics, d’incitations fiscales ainsi que de prêts publics à taux bonifiés accordés aux entreprises nationales, faussant ainsi la concurrence. Enfin, dans un rapport de juillet 2024, l’OMC a relevé l’opacité des programmes de soutien de la Chine, dont elle estime le montant global entre 250 et 820 milliards d’euros.
En conclusion, il semble ainsi que « Liberation Day » d’avril dernier et la nouvelle imposition des droits de douane par les Etats-Unis s’inscrivent dans la continuité d’un phénomène de protectionnisme, qu’ils viennent cependant amplifier. Ce retour des politiques protectionnistes, après des décennies de libéralisation croissante, a pris de l'ampleur après la crise financière de 2008. Aujourd’hui et bien que les États-Unis n'aient jamais officiellement quitté l'OMC, la politique de l'administration Trump semble pour sa part tendre vers leur retrait de facto de cette institution. Dans le même temps, la Chine a décidé le 24 septembre 2025 d’abandonner son statut de pays en développement, montrant ainsi son poids grandissant sur la scène commerciale mondiale. Le prochain sommet de l’OMC de mars 2026 peut ainsi représenter un tournant dans le fonctionnement de l’institution.
Article rédigé par Charlotte Tasso, Directrice Générale.
Achevé de rédiger le 13/10/2025.
Ce document est exclusivement conçu à des fins d’information. Les données chiffrées, commentaires ou analyses figurant dans ce document reflètent le sentiment à ce jour de Dubly Transatlantique Gestion sur les marchés, leur évolution, leur réglementation et leur fiscalité, compte tenu de son expertise, des analyses économiques et des informations publiques possédées à ce jour. Ces données sont en conséquence susceptibles de changer à tout moment et sans avis préalable. Les éventuelles informations faisant référence à des instruments financiers contenues dans ce document ne constituent en aucune façon une analyse financière, un conseil en investissement ni une recommandation d’investissement. Leur consultation est effectuée sous votre entière responsabilité. Toute opération de marché sur un instrument financier comporte des risques, en particulier un risque de perte en capital. Toute reproduction de ce document est formellement interdite sauf autorisation expresse de Dubly Transatlantique Gestion.